Franck Ngonga

RDC : quand le foot européen vole de la vedette au foot congolais

En République démocratique du Congo (RDC), le football est une véritable religion. Il y a des clubs partout et l’actualité footballistique alimente toujours le débat. Mais depuis un certain temps, le foot congolais perd de la vitesse par rapport au championnat européen, voyez par exemple  la finale de la ligue de champion entre la Juventus et le Real Madrid  ! Ou encore le feuilleton Messie-Ronaldo…

3 juin 2017, il est 19h30 dans la capitale congolaise, au stade Principality Stadium, à Cardif, la Juventus de Turin affronte déjà le Real Madrid dans le cadre de la finale de la ligue de champion de l’UEFA. Le stade est plein et tout le monde s’impatiente. Entre la « vieille dame » et le club de Zidane, c’est finalement la « Maison Blanche » (Real Madrid) qui l’emporte par un score lourd de 1-4. Les meringués deviennent ainsi les premiers joueurs à remporter de suite ce titre prestigieux.

Ici à Kinshasa, à quelques milliers de kilomètres du pays de Galles, tout est organisé pour ne rien rater de cette messe footballistique. Bars, ciné, et même des routes entières sont pleines de gens qui attendent vivre de loin cette finale ! On se croirait à Turin, fief de la Juventus, ou dans la ville de Madrid, fief du Real Madrid.

Nous sommes sur la nationale qui mène vers le rond-point Ngaba, un de coins les plus chauds de la capitale RD congolaise. Impossible de rallier l’autre bord de l’avenue : les Kinois ont érigé un écran géant sur la grande avenue pour suivre la finale. Patrick, 15 ans, ne jure que par la victoire de son club de cœur, le Real Madrid. Avec son tee-shirt aux couleurs de la Maison Blanche, il ne cesse de taquiner son camarade pro Juve.

« La coupe est à nous, tu verras… Avec Zidane comme entraîneur et Cristiano sur le terrain, Buffon va arrêter sa carrière aujourd’hui », dit-il, sûr de lui.

Quelques minutes après ses propos, Cristiano marque le premier but du Real. Un à zéro, le Real mène au marquoir.

« Qu’est-ce que je vous ai dit ? » s’enthousiasme Patrick, « nous sommes sûr de gagner ! « , ajoute-t-il.

Juste à côté de Patrick se trouve un fan de la Juventus. Alain Kalonji, la quarantaine, ne voit pas les chose de cette manière. Frustré du comportement de son voisin, il rétorque violemment.

« Tais-toi jeune homme, tu ne connais pas le football. Il reste encore beaucoup de minutes et la Juve va remonter ce but. Evite de t’agiter de cette façon mon gars ».

27ème minute de jeux, Mario Mazunkish, d’un retourné acrobatique, remet les deux équipes à égalité. Un but partout, tout reste à refaire pour les deux clubs !

L’occasion pour Alain de taquiner à son tour Patrick : « je te l’avais promis petit, rien n’est encore gagné pour vous. La coupe est à nous » lui dit-il.

Sur cette route nationale, la discussion s’emballe entre les madrilènes et les supporters de la « Vieille dame »(Juventus). Tout le monde va dans tous les sens, beaucoup d’agitation,  une grosse ambiance s’empare des lieux.

A quelques mètres de là, c’est dans un bar qu’Olivier Kafundo, un banquier, a donné rendez-vous à ses amis pour suivre le match. Nous les rejoignons à la mi-temps. Alors que les deux clubs sont au repos, Olivier et sa bande ne cessent de discuter sur la première mi-temps. D’après ce banquier pro Juventus, rien n’est prévisible, rien n’est joué. Entre la Juventus et le Real Madrid, aucun club n’est encore assuré de la victoire.

Point de vue balayé du revers de la main par sa compagne qui porte un drapeau du Real Madrid sur ses épaules.

« Qu’on ne te trompe pas Olivier, la Juventus est vieille. Dans une vieille dame rien de bon ne peut sortir. C’est la jeunesse Madrilène qui va l’emporter sur la vieillesse Turinoise », dit-elle.

A l’image de ces deux lieux animés, c’est toute la ville de Kinshasa qui est mobilisée pour suivre de loin cette finale. A la fin du match, on a entendu d’un côté des cris de joies et d’allégresse qui ont retenti de presque toutes les maisons, et de l’autre côté le regret était visible sur les fronts des supporters de la Juve, comme s’ils étaient au stade…
Visiblement, l’engouement pour le foot congolais faiblit face aux différents championnats européens.

Le foot congolais en baisse, Messie et Christiano sur toutes les langues 

Cristiano Ronaldo lors d’un match du championnat européen. ©Photo WONJONGSUNG

 

Bien que match du jour oppose la Juve au Real Madrid, bon nombre de discussions tournaient autour de Lionel Messie et de Cristiano Ronaldo. Comme si c’était Barcelone qui jouait contre son rival le Real. Qui des deux sera nominé ballon d’or ? C’est toute la question qui alimente les polémiques.

Pour les madrilènes, tout est bien clair. Christiano est arrivé en finale, il est le meilleur buteur de la ligue des champions, il a remporté la Liga, c’est donc lui qui mérite ce titre, « une autre option serait de l’injustice », souffle un madrilène.

« Pas question« , rétorque son ami, « Messie a tous les mérites. Balle aux pieds, maîtrise de jeux, provocateur et buteur, soulier d’or cette année. Le prodige argentin ne force rien alors que CR7 est un véritable mécanicien qui est réduit à marquer des buts dans des positions litigieuse », argue-t-il.

Là encore le débat s’emballe. Personne pour les départager. Messie et Cristiano alimentent les discussions même après la remise du trophée au Real Madrid.

Le championnat européen, ou alors Messie et Cristiano, seraient-ils en train de voler la vedette au championnat local de la Linafoot (Ligue Nationale de Football, championnat d’élite en RDC) ? De l’avis de certains, c’est effectivement ce qu’il se passe dans les bistros et les bars de Kinshasa depuis un certain temps. Ils justifient cette situation par la désorganisation du championnat national congolais. La Linafoot et le foot congolais perdent de plus en plus de terrain alors que le championnat européen, Messie et Cristiano sont de plus en plus présents dans les esprits congolais.

« Le football européen vu de Kinshasa, c’est plutôt passionnant. Le foot congolais vu de Kinshasa, ça commence à lasser » prévient Auguy Mudiayi, journaliste sportif à foot.cd, un média en ligne 100% football en RDC.

Franck Ngonga

 

 


RDC, Kinshasa : de « Kin la belle » à « Kin la poubelle »

Kin la belle ou Kin la poubelle?

« Après la pluie vient le beau temps » ! Depuis quelques années, dans les rues de Kinshasa, la capitale congolaise (Kin la belle),cet adage est devenu une véritable abstraction. Après la pluie vient plutôt des moments d’inquiétudes pour les riverains. Intense frustration pour les piétons, grincement de dents pour les automobilistes. Car les routes qui sont pour les uns pleines de nids de poule et pour les autres non asphaltées, cela rend la circulation impraticable ou presque. Du coup, tous les kinois se transforment en sportif !

15h45 à Kinshasa, une  fine pluie froide s’abat sur la capitale en ce 21 mars. Dans le mini-marché de Delvaux, sur la route qui relie Matadi à Ngaliema, difficile de faire ses provisions. Les eaux de pluie stagnent, la boue s’accumule et cela empêche le  bon déroulement des activités. Patrick Makambo, 15 ans, visage tendu. Entre ses mains, son sac et ses 1000FC. Il éprouve des difficultés pour  se procurer les amarantes à cause d’énormes flaques de boue qui le séparent du stand et de la vendeuse.

« Difficile de faire ses achats ici après la pluie. Les activités sont paralysées. Les routes, les marchés sont très sales. Des sachets trainent partout à même le sol. C’est la crasse! », déplore-t-il.

Kin la belle

Il  y a  aussi les odeurs nauséabondes de la décharge publique située près du marché et qui gâchent l’ambiance. Solange Mbula ne supporte plus les mauvaises odeurs qui se dégagent, elle est obligée de se déplacer avec un mouchoir sur le nez. « Insupportable », nous dit-elle, « je ne comprends pas comment tous ceux qui vendent par ici font pour vivre avec ces odeurs», ajoute-t-elle.

Soudain, un taxi bus (communément appelé « esprit de mort ») vient stationner près de l’entrée principale du marché et laisse descendre des passagers. Le temps pour eux de descendre et les autres passagers du bus ont du mal à supporter l’odeur qui leur parvient !

« Kitisa vitre nayo, chauffeur po awa tozo koka te », demande l’un d’entre eux. « Papa y ope Kita Mbangu po to leka décharge oyo », tonne pour sa part le chauffeur sur le passager qui descend lentement du véhicule.

Le mini-marché de Delvaux dans la commune de Ngaliema n’est pas le seul site mal entretenu où l’insalubrité règne en maître. De Maluku, en passant par Bandal, Ngaba, Ngiri Ngiri, Selembao et d’autres communes, le scénario reste le même dans les différentes rues de la capitale congolaise. Des sacs en plastic jaugent les artères secondaires, les eaux de ruissellement parfois non canalisées sont à la base de plusieurs maladies. « Kin la belle », serait-elle en train de perdre peu à peu sa beauté pour se transformer en poubelle ?

Des organisations de la société civile interpellent le gouvernement

De l’avis de certains observateurs, Kinshasa surnommé « Kin la belle » pour sa propreté à l’époque de Mobutu, est en train de perdre cette beauté. Des organisations de la société civile montent de plus en plus au créneau pour dénoncer cette insalubrité grandissante. Le 22 février dernier, La Lucha et « Il est temps », deux mouvements citoyens de la jeunesse, avaient organisé un sit in devant l’hôtel de ville de Kinshasa pour exiger du gouvernement provincial qu’il s’attaque à cette question.

« Lucha a lancé une campagne « Kinpropre » pour dénoncer l’inaction des autorités urbaines dans la gestion des déchets qui rendent la ville insalubre. Nous voulions déposer notre mémorandum à l’autorité, mais nous avons été tabassés avant d’être jetés dans les cachots pendant 72 heures », a déclaré Bienvenu Matumo , l’un des militants de la Lucha.

Depuis 2016 ces mouvements citoyens tentent d’organiser les salongo chaque week-end, mais ils font toujours face à l’interdiction des autorités locales.

« Nous avons toujours faits des salongo. Mais les bourgmestres de commune nous répriment à leur tour lorsque nous annonçons une action de salongo dans une commune », s’est-il indigné, mais nous maintenons malgré tout nos actions salongo, contre l’avis des autorités.

Entre sensibilisation et curage des eaux, les solutions fusent de partout

Face à cette situation, des pistes de solutions fusent de tout bord. Le gouvernement provincial a déjà entamé l’opération de curage des caniveaux dans la ville. En même  temps l’évacuation des décharges publiques s’effectue dans certains coins de Kinshasa.

Si le Gouvernement s’attelle pour le moment sur le curage des caniveaux, la Lucha, elle, met l’accent sur la sensibilisation. D’après Bienvenu Matumo, en dehors de salongo que ce mouvement compte reprendre, il organise aussi des séances de sensibilisation de la population.

«En même temps, nous sensibilisons la population à l’assainissement de la ville et à la bonne gestion de tous ses déchets ».  

De son côté, John Ngonga, coordonnateur de l’ONG « environnementale SOS Oxygène », préconise l’installation des décharges contrôles dans  chaque quartier de Kinshasa et la sensibilisation de la population à la culture de l’assainissement.

« La sensibilisation de la population à la culture de l’assainissement est une solution durable. Il faut aussi insister sur l’installation de décharge contrôle dans les quartiers, dans chaque district et le dépôt de transit dans chaque quartier. Et surtout sensibiliser et informer la population sur les conséquences de rejet de déchet dans l’eau et dans le sol », a-t-il proposé.

Autant de solutions qui pourraient redonner à la capitale congolaise toute sa beauté, afin qu’elle brille à nouveau, et qu’elle redevienne « Kin la belle ».

Franck Ngonga